Aperçu détaillé sur l’enquête interne et votre obligation de sécurité
Vous avez déjà été confronté à une alerte sur des faits de harcèlement moral ?
De harcèlement sexuel ?
Ou encore à la mise en œuvre de son droit de retrait par un salarié ?
Si tel a été le cas, vous savez alors qu’une enquête doit être diligentée en application de l’obligation de sécurité qui pèse sur votre entreprise.
Comment faire ?
En procédant à l’audition des parties en cause, c’est-à-dire l’auteur du signalement bien sûr, la personne visée, l’entourage professionnel, voire également les représentants du personnel.
Mais la question se pose aussi de savoir qui doit mener cette enquête.
L’employeur lui-même ou son DRH ?
Un cabinet externe spécialisé ?
Un avocat ?
Oui, c’est possible !
Les élus doivent-ils être conviés ?
Quelle doit-être la forme du rapport d’enquête ?
Autant de casse-têtes qui se posent lorsque l’on est confronté à l’obligation de devoir diligenter une enquête interne, que l’on soit dirigeant ou encore manager RH.
Et c’est bien normal.
En effet, le sujet est hautement sensible et avec des enjeux importants à court et moyen terme.
Si une sanction disciplinaire doit-être prise sur la base de cette enquête, il ne s’agit pas de se retrouver en difficulté par la suite à l’occasion d’un éventuel contentieux prud’homal.
Cela fait beaucoup de points.
Pour l’heure, l’objectif est uniquement de cerner les contours de l’obligation de sécurité qui pèse sur l’entreprise et de son devoir de prévention qui en découle.
Nous aborderons ensuite les situations dans lesquelles votre entreprise se doit de conduire une enquête interne de manière impartiale et loyale.
L’objectif de cette enquête est principalement d’éviter une mise en cause de sa responsabilité au titre de manquement à son obligation de sécurité.
1. Le devoir de prévention toujours et encore
En votre qualité d’employeur, vous êtes tenus à une obligation de sécurité à l’égard de vos salariés.
Cette notion d’obligation de sécurité se situe en amont de la réparation.
Elle vise à la suppression même du risque, à sa prévention.
L’article L.4121-1 du Code du travail nous éclaire.
L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Ces mesures comprennent :
- Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l’article L. 4161-1,
- Des actions d’information et de formation,
- La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.
L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.
S’agissant de la santé mentale et plus particulièrement du harcèlement moral, nous faisons l’amer constat que ce sujet est bien souvent au cœur de la majorité des dossiers contentieux.
C’est dire si le sujet est important.
C’est la raison pour laquelle le management de l’entreprise est placé au cœur même de cette question.
Il se doit d’être exempt de tout harcèlement, cela coule de source.
Mais ce n’est pas suffisant.
En votre qualité d’employeur, vous devez là aussi agir sur le terrain de la prévention.
Les textes en lien avec le harcèlement moral sont clairs.
Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible :
- De porter atteinte à ses droits et à sa dignité,
- D’altérer sa santé physique ou mentale
- Ou de compromettre son avenir professionnel (Art. L1152-1 du Code du travail).
Il s’agit là d’une obligation très forte qui implique pour l’employeur de prendre toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral (Art. L.1152-4 du Code du travail).
2. Comment mettre en œuvre cette prévention ?
Vous ne trouverez pas de dispositions légales pour définir précisément le contenu de cette obligation de prévention.
Dès lors, vous pouvez prendre toutes les mesures qui vont dans un sens de faciliter l’information et la formation de vos salariés sur ces sujets.
Dans tous les cas, vous devez assurer une formation à la sécurité à l’ensemble de vos salariés au sein de laquelle une rubrique peut concerner ces différents sujets.
D’autre part, dispenser une formation sur les bonnes pratiques managériales à tous vos managers est un prérequis pour exercer cette fonction.
Les capacités managériales du salarié promu peuvent aussi être testées dans le cadre d’une période probatoire.
En effet, un bon technicien ne devient pas si facilement que cela un bon manager.
La plupart du temps, un salarié ne quitte pas une entreprise, mais son supérieur hiérarchique.
La raison principale est qu’il n’accepte pas/plus un style de management qui peut être basé sur des pratiques harcelantes.
Ces problèmes de harcèlement moral surgissent donc à cause d’un management inadapté dont l’auteur ne prend même pas forcément conscience.
Malheureusement pour l’entreprise, le harcèlement peut être reconnu indépendamment de l’intention de nuire de son auteur (Cour de cassation, 15 novembre 2011, 10-30.463).
Vous ne pouvez pas rester sans réaction face aux signaux qui vous sont envoyés par les salariés telles que des démissions à répétition par exemple. Celles-ci peuvent refléter des situations de souffrance au travail.
Vous pouvez aussi former vos managers à la gestion des conflits.
- Combien de salariés ont du ressentiment à cause d’une situation conflictuelle avec un collègue qui n’a pas été géré correctement ?
- Combien de salariés ont quitté une entreprise à cause de cela ?
- Ces situations vous parlent ? Vous avez dû les gérer ?
- Avez-vous mis en œuvre des actions pour éviter qu’elles ne se reproduisent ?
Dotés des bonnes techniques pour gérer les situations délicates, vos managers se sentent alors plus forts.
En plus, ils deviennent plus légitimes pour intervenir en direct ou en soutien de leur N+1 ou du service RH.
Et si vous êtes le seul maître à bord de l’entreprise, alors vous êtes le premier concerné.
Vous pouvez aussi mettre en place une charte de prévention et de gestion du harcèlement moral.
Lors de son élaboration, puis de sa diffusion, vous avez donc de multiples occasions d’aborder régulièrement ce sujet avec tous les acteurs internes et externes de l’entreprise (managers, salariés, élus, médecin du travail…)
Bref, faites preuve d’imagination dans le cadre de l’élaboration de votre politique des ressources humaines.
Et surtout, prenez les mesures adaptées à la culture de votre entreprise et à sa maturité managériale.
Nous sommes dans la conduite du changement et pas uniquement dans l’adoption de règles formelles.
3. Vous avez tout de même des obligations. Lesquelles ?
Si votre entreprise compte au moins 250 salariés, vous devez procéder à la désignation d’un référent parmi les membres du Comité Social et Économique.
Quel est son rôle ?
Il est chargé d’orienter, d’informer et d’accompagner les salariés en matière de lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes (Article L1153-5-1 du Code du travail).
Celui-ci pourra ainsi notamment :
- Réaliser des actions de formation et de sensibilisation auprès du personnel,
- Orienter les salariés vers les autorités compétentes,
- Mettre en œuvre des procédures internes permettant de faciliter le signalement et le traitement des faits de harcèlement sexuel et d’agissements sexistes,
- Réaliser des enquêtes.
Vous devez mentionner obligatoirement dans votre règlement intérieur les dispositions du Code du travail relatives aux harcèlements moral et sexuel ainsi qu’aux agissements sexistes.
C’est un minimum et là encore, vous pouvez aller plus loin en rappelant que le respect de la dignité de chacun au travail est impératif par exemple.
Vous devez afficher sur le lieu de travail, ainsi que dans les locaux ou à la porte des locaux où se fait l’embauche, les dispositions des articles :
- 222-33-2 du Code pénal relatif au harcèlement moral sur les lieux de travail,
- 222-33 du Code pénal sur le harcèlement sexuel, ainsi que les actions contentieuses, civiles et pénales ouvertes en matière de harcèlement sexuel et les coordonnées des autorités et services compétents
Malgré toutes les mesures que vous avez pu prendre, vous pouvez être confronté à une alerte dont les sources sont très diverses.
Quelles sont-elles précisément ?
4. Les 5 différentes sources des alertes ?
a. Le droit d’alerte du Comité Économique et Social
Vous avez mis en place un CSE ?
Vos élus disposent d’un droit d’alerte prévu par les articles L. 2312-59 et L. 2312-60 du Code du travail.
Ainsi, si un membre du CSE constate, notamment par l’intermédiaire d’un salarié, qu’il existe une atteinte aux droits des personnes, à leur santé physique et mentale ou aux libertés individuelles dans l’entreprise qui ne serait pas justifiée par la nature de la tâche à accomplir, ni proportionnée au but recherché, il peut vous en saisir sans délai.
Cette atteinte peut notamment résulter de faits :
- De harcèlement sexuel ou moral,
- Ou de toute mesure discriminatoire en matière d’embauche, de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de classification, de qualification, de promotion professionnelle, de mutation, de renouvellement de contrat, de sanction ou de licenciement.
Vous devez alors procéder sans délai à une enquête avec le membre du CSE et prendre les dispositions nécessaires pour remédier à cette situation.
Cette alerte peut prendre une tournure contentieuse dans le cas où vous vous abstenez de diligenter une enquête ou en cas de divergence sur la nécessité de réaliser cette dernière.
Dans ce cas de figure, le membre du CSE peut saisir le bureau de jugement du conseil de prud’hommes, à la condition préalable que le salarié concerné par l’atteinte à sa santé ou sa sécurité (averti par écrit) ne s’y oppose pas.
Dès lors qu’il est saisi, le juge peut ordonner toutes mesures propres à faire cesser cette atteinte et assortir sa décision d’une astreinte qui sera liquidée au profit du Trésor.
Ce membre élu à l’origine de cette alerte peut donc tout à fait être le référent harcèlement sexuel / agissements sexistes, désigné parmi les membres du CSE.
Ce même droit d’alerte existe également en cas de danger grave et imminent.
b. Les alertes qui émanent des salariés
Mais ce sont aussi vos salariés qui peuvent aussi être à l’origine d’une alerte pour des faits similaires.
Ainsi, lorsque dans un premier temps l’alerte émane du CSE, le salarié concerné par l’atteinte à sa santé ou sa sécurité dispose aussi du droit de saisir le Conseil de prud’hommes pour faire en sorte qu’il soit ordonné des mesures destinées à mettre un terme au trouble constaté.
Cela suppose bien entendu, dans ce cas-là aussi, que vous n’ayez pas non plus réalisé d’enquête.
En cas d’alerte en direct de l’un de vos salariés sur des faits supposés de harcèlement moral, diligenter une enquête est donc indispensable pour éviter que votre responsabilité ne soit mise en cause.
En effet, en l’absence d’enquête, ce dernier pourra obtenir la réparation de son préjudice, que les agissements soient constitués ou non (Cass. Soc., 27 nov. 2019, no 18-10.551).
Vous devez aussi avoir ce même réflexe dans le cas de la mise en œuvre de son droit de retrait par l’un de vos salariés (Article L4131-1 – Code du travail).
c. Cette alerte peut aussi émaner de votre médecin du travail
D’une manière générale, il convient d’être attentif aux observations qui peuvent être formulées par ce dernier et surtout de veiller à ce qu’il y soit donné suite.
Ainsi, votre médecin du travail peut vous recommander de procéder à une enquête dans le cas où il constaterait une situation de souffrance au travail au sein de votre entreprise.
Cette enquête vous permettra de démontrer que vous avez satisfait à votre obligation de santé et de sécurité. (Cours Appel Lyon 2 déc. 2020, n°18/01741 ; Cours Appel Paris, 28 oct. 2020, n°18/06494).
d. L’inspection du travail
L’inspection du travail peut aussi vous conduire à diligenter une enquête pour faire cesser les troubles dont elle aura été informée sur la base d’une plainte des salariés.
Sachez également qu’en cas d’alerte du CSE sur un danger grave et imminent, et à défaut d’avoir trouvé un accord avec vos élus, vous devez saisir immédiatement l’inspecteur du travail.
Il est habilité à intervenir pour vous mettre en demeure de procéder aux mises en conformité (Article L4132-4 – Code du travail).
e. Les lanceurs d’alerte créés par la loi SAPIN II
Ce sont aussi les lanceurs d’alerte créés par la LOI SAPIN II qui peuvent être à l’origine d’un signalement :
- Relatif à une violation grave et manifeste de la loi ou du règlement (excès de pouvoir, non-respect des règles d’hygiène ou de sécurité…),
- Ainsi qu’en cas de danger grave et imminent.
À défaut de réaliser une enquête dans le but de déterminer la réalité et la matérialité des faits rapportés et par la suite de traiter cette alerte dans un délai de trois mois, des allégations d’atteintes aux personnes ou de danger grave et imminent peuvent être rendues publiques, diffusées par voie de presse (médias, associations, ONG ou syndicats).
Comme vous pouvez le constater, les sources des alertes sont nombreuses et imposent toutes la même réaction : diligenter une enquête.
En effet, votre obligation de prévention des risques professionnels doit vous pousser à réagir dans des délais courts afin d’éviter une mise en cause de votre responsabilité (Cour de cassation, 16-10.885).
Les points à retenir sur les enquêtes internes et obligations de Sécurité
- L’obligation de sécurité qui pèse sur l’entreprise l’oblige à mettre en place de moyens de prévention pour éviter que ne se produisent des situations qui mettent en danger la santé physique et mentale des salariés
- Malgré ces moyens de prévention, vous pouvez être confronté à une alerte relative à des faits de harcèlement moral par exemple.
- Les sources des alertes sont nombreuses : élus du CSE, salariés, inspecteur du travail, médecin du travail… Les identifier est une première étape.
- Quelle que soit l’origine de l’alerte, pour éviter que ne soit mise en cause votre responsabilité au titre de votre obligation de sécurité, diligentez une enquête.
À propos de l’auteur
Claude conseille les chefs d’entreprise sur les aspects juridiques et RH de leur gestion sociale. Il assure aussi leur défense devant les juridictions dans le cadre des litiges qui les opposent avec les salariés ou les administrations.
Chez Human Avocats, notre équipe d’avocats accompagnes les entreprises en proposant une démarche transverse des problématiques juridiques et opérationnelles des RH et de la paie.
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